Nous avons assisté sur les derniers mois à un déferlement de commémorations pour marquer les 80 ans de la libération de l’Alsace puis de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Articles, interviews, discours des officiels, protocole rodé pour une conclusion implacable : « Ceux qui ne connaissent pas l’histoire sont condamnés à la revivre. »
Le maintien en mémoire vive de cette histoire qui a impacté nos familles, nous oblige par respect pour cette génération à un peu de discernement. Une analyse des conséquences en Alsace et Moselle de la liturgie mémorielle de l’après-guerre est nécessaire parce qu’elle s’apparente à une mise en scène de rituels patriotiques et cocardiers.
Le nazisme qui a dévasté l’Europe fut une horreur, un choc absolu, et nous subissons encore aujourd’hui les conséquences de la folie de ce régime. Cette période a traumatisé les nôtres, les a réduits au silence après-guerre et ils se sont tus. Les derniers Malgré-nous attendront 2025 pour voir la France esquisser une reconnaissance de leurs souffrances. Cette génération était prête à tout pour tourner la page, jusqu’à encaisser le rejet de notre âme germanique traitée de « boche ». Un seul mot d’ordre : « Redde m’r nimm devun ».
Il faut dire que le système de rééducation français appliqué aux Alsaciens après 1944 fut particulièrement performant, allant jusqu’à remettre en service le camp du Struthof.
On glorifie avec constance et saturation de l’espace mémoriel notre « retour à la liberté » et « à la mère patrie ». Mais de quelle liberté parle-t-on, quand notre langue et notre culture ont été méthodiquement effacées après-guerre ? Quelle est cette mère qui réduirait son enfant au mutisme ? L’allemand d’Alsace a été effacé pour faire place nette au prêt à penser suivant les codes du jacobinisme, de Paris et du centralisme uniformisé.
Ce récit bleu-blanc-rouge en Alsace et Moselle permet de balayer toute réserve sur la gestion de l’après-guerre, clairement teintée par la continuité du colonialisme français souhaitant mettre à profit un choc particulièrement violent pour asseoir sa domination. Ainsi, les enfants des Malgré-nous se sont retrouvés, sans transition, dans les guerres coloniales de la république, notamment en Algérie. Rappelons-le : le 8 mai 1945, alors que l’Europe retrouvait la paix, l’ordre colonial jamais remis en question se perpétuait sans transition à Sétif dans un bain de sang.
Commémorer différemment, ce serait redonner voix à la complexité, à la douleur multiple, à l’ambivalence des parcours, reconnaitre nos singularités et spécificités. Nos erreurs aussi puisque commémorer n’est pas sacraliser. C’est faire silence et pleurer ces générations sacrifiées. On peut se poser une question simple. La Mémoire est-elle vraiment destinée à servir la paix quand elle est tronquée et instrumentalisée ?
Le monde a changé en 80 ans et l’Europe n’est plus le phare qu’elle fut les siècles passés. Les belligérants français et allemands d’hier sont devenus des partenaires au sein d’une Europe hors champ des enjeux stratégiques globaux. Parfois les deux pays font même des commémorations communes. Il faut s’en réjouir évidemment, mais cette réconciliation se garde bien d’évoquer le cas spécifique de la victime collatérale alsacienne et mosellane.
Evidemment, Unser Land en tant que parti politique n’a pas vocation à écrire l’histoire mais à penser l’avenir. Néanmoins, nous sommes déterminés par le passé et nous constatons à quel point notre âme alsacienne reste traumatisée par cette période. F. Hoffet a écrit « Psychanalyse de l’Alsace » en 1951. La frénésie des commémorations et leur forme depuis 80 ans est un marqueur d’une maladie chronique. La commémoration peut évidemment être perçue comme thérapie, mais elle n’aura cependant aucun effet sur la paix.
Nous voyons le retour des mécanismes qui permettent la guerre. Ceux-ci sont implacables et très difficiles à contrecarrer car ils s’appuient sur des réalités économiques et des rapports de dominations dont nous subissons les conséquences.
Personnellement, étant donné notre histoire et nos expériences, je pense que les cérémonies en Alsace devraient être placées sous le signe du recueillement, de l’humilité et du pacifisme le plus militant. Ce n’est pas neutre. N’oublions pas que pour commencer la première guerre mondiale, il leur a fallu assassiner Jean Jaurès.
Cependant, l’homme a besoin de symboles, d’évènements fondateurs et fédérateurs. La richesse de notre histoire nous offre une palette formidable.
Je rappelle que nous fêtons cette année les 500 ans du Bundschuh, et nous nous souvenons de serfs qui se sont opposés aux princes. Une tentative de rupture réprimée dans le sang. Georges Bischoff dans « Guerre des Paysans » verra dans cette insurrection paysanne un sentiment d’appartenance commun, un embryon de sentiment alsacien. Également chaque année le 31 mai, nous nous souvenons qu’en 1911, l’Alsace et la Moselle étaient dotées d’une Constitution et d’un Parlement à Strasbourg. Un niveau d’autonomie inégalé depuis.
Voilà des évènements qui nous ont construits, et qui sont peu visibles dans l’historiographie nationale.
Unser Land est le seul parti en Alsace à se référer par rapport à des symboles aussi forts. Alors si vous aussi pensez qu’il faut retrouver l’esprit de notre drapeau Rot ùn Wiss, le sens des racines, si vous pensez que l’Alsace peut apporter au monde, alors rejoignez-nous. Au-delà de commémorations appropriées, il reste un avenir à construire. Pas seulement pour l’honneur ou l’amour-propre, mais par impérieuse nécessité.
Martin Meyer, vice-président