Cérémonie du 11 novembre pour la paix

13 novembre 2025

La diplomatie n’a pas su empêcher la Première Guerre mondiale. Elle a conduit des Hommes à tuer leurs semblables dans la boue des tranchées, à la baïonnette.

Aujourd’hui à nouveau, les mêmes engrenages implacables qui permettent ces absurdités se remettent en place, et nous assistons à une guerre fratricide qui oppose deux peuples slaves au cœur de l’Europe.
Nous assistons aussi au retour des propagandes selon le camp choisi par tel ou tel groupe qui façonnent les opinions. Les nations invoquent la défense de leurs intérêts vitaux. Mais ces intérêts sont-ils aussi ceux des femmes et des hommes qui les composent ?

C’est pourquoi, il nous a semblé intéressant de mettre en lumière la pensée de Schweitzer aujourd’hui, 150 ans après sa naissance. Il avait 43 ans en 1918. Et en ce jour de commémoration, nous voulons également nous interroger. Nous qui sommes les protagonistes vivants du monde actuel, quelles sont nos obligations envers ceux qui furent sacrifiés hier pour des raisons si distantes de leurs intérêts et de leur quotidien ?

Ici, en Alsace, la pensée d’Albert Schweitzer résonne avec une force particulière. Parce qu’il était alsacien et sa philosophie, ne pouvait éclore que dans un esprit Alsacien éclairé et éclairant comme le sien. Son éthique était alsacienne.

Son appel au respect absolu du Vivant, au-delà des pseudos intérêts vitaux des États, nous invite à la réflexion.
Réfléchir aussi dans un contexte de commémorations souvent frénétiques, typiquement françaises, parfois fondées — chez nous — sur des récits tronqués ou réécrits pour glorifier une victoire qui fut une défaite chez nous. 
Mais Albert Schweitzer se place au-delà des intérêts des états et de leur glorification des nationalismes. Pour lui, le principe qui surpasse tout autre principe, est celui de la préservation du principe de respect de la vie. Sa prédication du 24 novembre 1918 est une référence et nous entendrons quelques extraits de celle-ci après une présentation du grand Homme par Thibault.

 

Présentation de Albert Schweitzer 
Albert Schweitzer, témoin Alsacien de paix et d’humanité

En ce jour de commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918, où nous honorons la mémoire de celles et ceux qui ont souffert et combattu pour la paix, il est juste d’évoquer la figure d’un homme dont toute la vie fut consacrée à ce même idéal : Albert Schweitzer.

Albert Schweitzer est né en 1875 à Kaysersberg, en Alsace alors allemande. Il grandit à Gunsbach, dans la vallée de Munster. Pasteur, théologien, philosophe, médecin, organiste, il incarne à lui seul la richesse intellectuelle et spirituelle de notre région.

Très jeune, il se donne une règle de vie : « Jusqu’à mes trente ans, je me consacrerai à la science et à l’art ; après, je me donnerai au service de l’humanité. »
Et il tint parole.

En 1913, il quitte l’Europe et part, avec son épouse Hélène, au Gabon, alors colonie française, pour y fonder un hôpital à Lambaréné, dans des conditions extrêmement difficiles. Il soigne les malades, combat la lèpre, lutte contre la misère et les injustices, avec les moyens du bord, souvent dans l’indifférence du monde.

Quand la Première Guerre mondiale éclate, Schweitzer, en tant que citoyen allemand vivant en territoire français, est interné avec sa femme. Cette expérience le marque profondément. Il voit la folie des nations, la douleur des peuples divisés, et en tire une conviction : la paix véritable ne peut venir que d’une transformation morale de l’homme.

Après la guerre, il retourne à Lambaréné et reprend son œuvre. Son message devient universel : il parle de la « Respect de la vie / Ehrfucht vor dem Leben », ce principe selon lequel toute vie mérite respect, qu’elle soit humaine, animale ou végétale.
C’est une philosophie de compassion et de responsabilité, profondément ancrée dans sa foi et son humanisme.

En 1952, Albert Schweitzer reçoit le Prix Nobel de la Paix. Dans son discours à Oslo, il lance un appel vibrant contre les armes nucléaires et pour la fraternité entre les peuples. Il dira :
« L’homme est devenu un génie de la technique, mais il a oublié d’être un sage. »

Aujourd’hui, en nous souvenant de l’armistice du 11 novembre 1918, il nous rappelle que la paix ne se signe pas seulement sur du papier : elle se construit chaque jour, dans les cœurs, dans les actes, et dans le respect de toute forme de vie. N’oublions pas les leçons du passé.

Albert Schweitzer s’est éteint en 1965, mais son message demeure :
Servir, soigner, comprendre, respecter, agir.
Voilà les armes d’un artisan de paix.

Merci.

 


Retour sur la prédication en l’Eglise St Nicolas. Le 24 novembre 1918.

Cette prédication est emblématique car il s’inscrit dans un contexte particulier :

  • 2 jours après l’arrivée des troupes françaises à Strasbourg
  • L’enchantement tricolore à son apogée avec suspicion pour ceux coupables d’élan patriotique trop tiède
  • On est à quelques jours avant l’expulsion des vieux Allemands, dont le beau-père d’Albert Schweitzer

Dans ce contexte, la prédication d’Albert Schweitzer est remarquable et avant-gardiste.

L’introduction :

 

Zum fünften Mal nun in der Zeit, da der Herbst sich zum Winter neigt, wollen wir nicht nur der Toten gedenken, die nicht starben, weil Alter, Krankheit oder Unglücksfall sie dahinraffte, sondern … von Menschenhand im mörderischen Kriege fielen. Wie sind sie gestorben?

En français dans cette suite car l’Allemand de Schweitzer est d’un niveau difficilement accessible pour nous Alsaciens d’aujourd’hui :
Un coup de feu a traversé leur corps et ils se sont vidés de leur sang ; durant des jours, ils se sont consumés dans les gémissements, accrochés aux fils de fer barbelés, sans que personne ne puisse leur porter secours ; dans la nuit, ils sont morts de froid sur une terre gelée ; des explosions les ont ensevelis ou les ont projetés dans les airs après les avoir déchiquetés ; en gargouillant, l’eau a entrainé par le fond le bateau sur lequel ils se trouvaient […]. Quant à ceux qui ne sont pas morts sur terre ou dans l’eau, ils s’en sont rentrés, après avoir souffert à l’hôpital militaire tous les tourments durant des semaines et des mois, pour être contraints de lutter avec la vie et l’existence d’un estropié.

Was ist das :

Schweitzer met en lumière la réalité tragique de la guerre et ses conséquences. Il faut imaginer ces hommes — paysans, artisans, instituteurs… — issus de deux nations alors parmi les plus avancées du monde occidental, s’affrontant dans les tranchées avec une brutalité et une inhumanité sans nom. L’Europe représentait alors 95 % des brevets et découvertes du monde, et pourtant, elle s’autodétruisait. Pour quelles raisons ? Pour la France, récupérer l’Alsace et la Moselle ; pour l’Allemagne, étendre un empire colonial. Avec le recul, face au désastre humain et moral qui en a résulté, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de cette séquence tragique qui marqua le début du long processus de suicide de l’Europe.

 

Nun gehört dieses Weh der Vergangenheit an, sie haben ausgeduldet, die Menschen, die von Menschenhand litten und starben. ……..

Wie wollen wir ihr Gedächtnis feiern? 

Schweitzer nous interroge encore : comment rendre juste Mémoire à ces vies sacrifiées, pour que leur inutile souffrance ne soit pas vaine ?

So glaube ich, müssen wir Menschen aller Völker denen, die in dem Krieg gefallen sind, etwas geloben.“

Was sollen wir den Toten noch geloben? Daß ihr Tod nicht nutzlos
gewesen ist. Sie haben sich dahingegeben in allen Ländern, um jeder sein
Volk den Gräueln des Krieges zu bewahren und ihm die Freiheit zu erhalten. Und jedes Volk muss seinen Toten dafür danken. 

In den Ländern, denen der Sieg beschieden war, wird die Bedeutung ihres Todes in dem Jubel, der über die Gräber dahinbraust, ausgesprochen.

In denen die Unterlagen, gedenkt man ihrer schmerzbewegt. Äußere Umstände entschieden bei den einen, daß der Tod den Sieg besiegelte, bei den anderen, dass er ohne Erfolg war. Aber das ist nicht das letzte an der ihres Todes. Jetzt, wo wir auf den Krieg als etwas Vollendes zurückblicken, stehen die, die geopfert wurden, als eine Schar, in der es keine Unterschiede von Rasse und Nation mehr gibt, als Menschen, die in Leid und Schmerz geeint sind, vor uns und fordern etwas von uns.

 

En Français :

Que leur mort n’a pas été vaine. Ils se sont sacrifiés dans tous les pays, chacun pour protéger son peuple contre les atrocités de la guerre et pour lui préserver la paix. Et il faut que chaque peuple remercie ses morts pour cela. Dans les pays auxquels a été accordée la victoire, on exprime la signification de leur mort par les cris d’allégresse qui bruissent au-dessus des tombeaux. Dans [les pays] qui ont été vaincus, on songe à eux avec douleur. Ce sont les circonstances extérieures qui ont décidé que pour les uns la mort scellerait la victoire, et pour les autres elle ne serait pas couronnée de succès. Mais telle n’est pas la signification ultime de leur mort. Désormais, alors que nous regardons la guerre comme quelque chose de passé, ceux qui ont été sacrifiés se tiennent comme une troupe au sein de laquelle il n’y a plus de différence de race ni de nation, comme des êtres humains qui sont unis dans la douleur et la souffrance, et qui exigent de nous quelque chose.

Was ist das :

Dès novembre 1918, Schweitzer comprend qu’on ne peut établir de distinction entre les Morts, ni se contenter de cérémonies destinées à glorifier l’absurde.
Pour lui, la véritable séparation ne se fait pas entre vainqueurs et vaincus, mais entre les Vivants — capables de tirer de cette tragédie une leçon pour le bien de l’Humanité — et les Morts, dont le sacrifice serait trahi si cette leçon n’était pas entendue et mise à profit.

Zu gering beurteilte man das Menschen leben, diesen geheimnisvollen, unersetzlichen Wert. Zu leichtsinnig sprach man von Krieg und dem Elend, das er bringt. 

Man war gewohnt, für äußere Erfolge viele Menscherleben in Rechnung zu setzen und verherrlichte und besang diese Unmenschlichkeit.

 So kam, was kommen musste……. Verherrlichung des Nationalismus führt..dass nur Schmerz und Entsetzen bleiben

Indem wir uns vor Ihnen anklagen und demütigen, geloben wir, dass der Geist, dem sie geopfert wurden, vernichtet sein soll.

Schweitzer ne se contente pas des mots : homme d’action, il sait aussi briser les carcans de pensée qui paraissent intangibles. Il dénonce la responsabilité des nationalismes, responsables du sacrifice de tant de vies, et lance un appel clair : il faut abattre cet esprit nationaliste. Plus jamais des hommes ne doivent, par décision des gouvernements — par ordre ou au nom d’une prétendue auto-défense — se trouver sommés de tuer leurs semblables. Il est à noter, ici, que Schweitzer ne met pas en cause le rôle de la diplomatie dans ce texte ; son cri porte avant tout contre la logique qui a conduit aux champs de bataille.

Ehrfurcht vor Menschenleid und Menschenleben, vor dem kleinstem und unscheinbarsten, sei das eherne Gesetz, das hinfort die Welt regiere. Und nicht wollen wir damit neue Phrasen an Stelle der alten setzen oder meinen, daß mit tönenden Reden und Erklärungen der Politiker in dieser Sache etwas getan sei, sondern wissen, daß es nur die tiefinnerliche Gesinnung, von Mensch zu Mensch sich mitteilend, ist, die in der Welt solches Vermögen wird. 

Il est convaincu qu’une éthique enracinée dans les valeurs profondes de l’humanité, affranchie des calculs politiques à court termes, aurait pu épargner à l’Europe le désastre et ses suites tragiques.

Conclusion de la prédication :

Albert Schweitzer voyait dans le progrès des sociétés occidentales un mouvement exigeant son tribut. Ce qu’il n’avait pas encore pleinement perçu, c’est que le tribut le plus lourd serait celui du déclassement de l’Europe elle-même.
Ce n’est que plus tard, avec l’avènement de l’atome, qu’il comprit à quel point cette course au progrès avait atteint une limite : celle où l’humanité tout entière peut être mise en péril par des conflits locaux.

Aujourd’hui, la maîtrise du monde atomique et quantique repousse encore davantage ces frontières, et l’on n’ose imaginer les conséquences si de tels moyens venaient à être utilisés pour des visées de domination. Certes, les défis ne sont plus les mêmes. Mais Schweitzer nous laisse un principe intemporel, au-delà des cycles technologiques et des dérives nationalistes : l’éthique comme principe universel.
Die Welt braucht Ehrfurcht vor dem Menschenleben — le monde a besoin de respect pour la vie humaine.

Plus que jamais, sa pensée demeure actuelle. En ce jour de commémoration, qu’elle résonne en nous comme un appel à la prudence, à la lucidité et à la liberté de penser — contre tous les discours prêts à servir, qui trop souvent préparent à se soumettre.

Martin Meyer, vice-président de Unser Land

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