Parlons franc !
Dans son « discours fondateur » sur la francophonie prononcé mardi 20 mars 2018 à l’Institut de France, Emmanuel Macron s’inscrit dans une étonnante filiation, liant son ambition pour la langue française à celle qu’il attribue à Charlemagne puis à François 1er en passant par Louis XII.
L’évocation de Louis XII relève de l’énigme, au contraire de la référence à l’autorité de François 1er. Par son ordonnance de Villers-Cotterêt, François 1er institue le français comme langue officielle pour les textes et procédures administratives, au détriment du latin. Dès lors les actes officiels seront publiés « en langue maternelle française, et pas autrement ». Cette ordonnance est cependant à l’origine de la marginalisation des langues maternelles parlées dans les régions, qui ne trouvent à ce jour aucune reconnaissance institutionnelle et ne jouissent d’aucune protection.
La référence à Charlemagne est autrement surprenante. Après avoir laissé percer quelques lacunes en géographie (en faisant de la Guyane une île), voilà que notre président trahit une connaissance assez approximative de l’histoire. En serait-il resté à la fort sympathique chanson de la regrettée France Gall, selon laquelle « ce sacré Charlemagne » aurait » inventé l’école » et les « leçons de français » ? Il semble en effet ignorer que l’empereur à la barbe fleurie de la chanson disait « min Pert » et non « mon cheval ». Sans doute la francisation de son nom, Karl der Große, et du nom de sa capitale Aachen, rebaptisée par Napoléon en Aix la Chapelle, entretient une ambiguïté voire un mythe fallacieux.
De fait le terme même de francophonie renvoie paradoxalement aux origines germaniques de notre histoire. Ce sont en effet les Francs, die Franken, un peuple germanique sédentarisé à partir du IVe siècle sur la partie septentrionale de l’actuel territoire français continental, qui ont donné leur nom et leurs rois à la France, Frankenreich. N’en déplaise aux croisés de la francophonie les « Français » d’alors parlaient fränkisch, une langue germanique qui se parle toujours dans une partie de la France, en Alsace bossue et en Moselle, ainsi que dans le sud-ouest de l’Allemagne où elle n’a jamais été interdite.
Si Karl der Große, qui souffrait de ne pas savoir bien écrire, a effectivement agi pour développer les écoles, c’était pour que les fils de ses missi dominici apprennent le latin et le répandent pour en faire la langue commune de son empire, qui par maints aspects préfigurait l’Europe d’aujourd’hui.
L’engagement du président en faveur de la francophonie est respectable. Mais la préservation et la promotion des langues qui renvoient aux racines de l’histoire de la France paraissent autrement urgentes. La langue de l’empereur carolingien, qui est aussi celle de son prédécesseur Clovis, Chlodwig, est encore vivante, mais menacée d’extinction, comme l’est l’alaman, parlé ailleurs en Alsace. Si le président français veut jouer un rôle dans l’histoire linguistique – par une ordonnance ? -, qu’il soulève la chape de plomb du monolinguisme et rejoigne la modernité en ratifiant et appliquant la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Qu’enfin en France on parle franc, alémanique, basque, breton, corse, occitan, flamand… !
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