La défense de nos toponymes
La défense de nos toponymes fonde le combat identitaire
par Bernard Wittmann
La toponymie, autant que les frontières et les monuments[i], contribue au marquage du territoire des Etats et des peuples, elle est, en sorte, une espèce de marque du propriétaire. Forgés par l’histoire, les noms de lieux ont tous non seulement un sens, mais en plus ils démarquent les territoires historiques, bornent une aire culturelle et marquent l’identité culturelle et linguistique d’un peuple.
Aussi, en cas de changement de souveraineté d’une région ou d’un pays, la toponymie devient alors pour le conquérant un insupportable rappel venant lui signifier en permanence qu’il s’agit d’un pays soumis, d’un pays volé. C’est pourquoi, la tentation est grande pour l’ethnie dominante qui tient les rênes de l’Etat (en cas d’Etat centralisé), d’effacer ou de travestir les toponymes des territoires traditionnels des peuples allogènes. C’est une manière insidieuse de les normaliser et d’effacer les traces de leur passé propre : l’identité territoriale est alors soumise à une logique exogène ! C’est aussi une façon soft d’éliminer une minorité linguistique surtout quand sa langue n’a pas de statut officiel chez elle.
Changer un toponyme peut aussi servir aux assimilateurs pour gommer de l’histoire nationale, tabouisée et mythifiée, des pages infamantes du passé qui ne cadrent pas avec le « roman national » fait de gloire et de grandeur. Ainsi, en Vendée, au prétexte de regroupement de communes, l’administration centrale, avec la complicité des maires alléchés par des subventions incitatives, a-t-elle œuvré pour faire disparaître le nom de la commune de Chapelle-Basse-Mer en programmant sa fusion avec la commune de Barbechat, l’ensemble fusionné devant porter le nom de « Divatte sur Loire » ! Cette volonté de jeter aux oubliettes le nom de Chapelle-Basse-Mer s’explique par le fait que cette commune fut le théâtre d’un affreux carnage perpétré par les soldats de la République durant la Révolution française : en 1794, 800 habitants, hommes, femmes, enfants, vieillards y furent massacrés sauvagement par les républicains qui en firent ainsi un village martyr ! Evidemment, cette ignoble tuerie fait tache dans l’histoire de la République qu’on veut lisse et sans souillures. Ainsi, en faisant disparaître le nom de Chapelle-Basse-Mer, on cherche à occulter, autant que faire se peut, l’histoire tragique de cette commune et les atrocités qui accompagnèrent le génocide vendéen pratiqué par « les soldats de la liberté » : « du génocide au mémoricide ».[ii]
Changer nos toponymes, c’est travestir notre histoire
La France plus que d’autres, du fait de son idéologie jacobine et assimilatrice, fait un usage constant de cette politique de travestissement toponymique, notamment en Alsace, pays de marche ! Et ce n’est pas un hasard si, à chaque poussée nationaliste du pays, les falsificateurs patriotes s’acharnèrent à bidouiller pour les franciser nos toponymes alsaciens voire nos patronymes jugés « trop boches ». En effet, leur caractère indéniablement germanique recèle un message subversif pour le pouvoir dominateur français qui ne veut reconnaître qu’un seul peuple, le peuple français monolithique. En francisant nos toponymes qui nous lient à notre terre et à notre histoire, les assimilationnistes veulent en fait « normaliser » notre passé en gommant des marqueurs essentiels de notre identité alsacienne et de nos racines germaniques en butte avec la version officielle de l’histoire et l’idéologie moniste des jacobins. En changeant nos toponymes germaniques anciens – soit en les francisant par touches successives soit en les traduisant carrément en français – ou en leur en substituant de nouveaux sans liens avec notre histoire et notre culture, on ne cherche rien de moins qu’à faire passer les mythes de l’historiographie nationaliste officielle dans la conscience collective alsacienne.
Il en fut ainsi des Révolutionnaires qui continuèrent la francisation des toponymes déjà engagée sous l’ancien régime (expl.: Weissenburg devint Weissenbourg ; Buchsweiler, Buchswiller ; Hüningen, Huninguen ; Schlettstadt, Schlestadt ; Lützelstein, La Petite Pierre etc.) et qui laissèrent libre cours à leur furie « francilisatrice ». Ainsi, à côté des noms de rues qu’ils francisèrent partout avec souvent le ridicule que l’on sait[iii] (à Strassburg « délibération du 12. Frimaire, l’an second » portant sur le changement des noms des rues et des places pour en finir avec « …leurs dénominations gothiques qui rappellent le souvenir de l’ancien régime et blessent l’œil du républicain…»), ils s’en prirent de même aux noms séculaires de communes (décret du 1.6.1793) : Kaysersberg devint Mont-Libre ; Bockenheim, Saar-Union ; Saint-Louis, Bourg Libre ; etc.
1918 : les bidouilleurs toponymiques sont de retour
Il en sera de même en 1918 et les années de patriotisme flamboyant qui suivirent. A nouveau les croisés de la francisation se mirent à l’ouvrage en formulant des projets de francisation des toponymes alsaciens les plus insensés. Certains aboutirent néanmoins, comme par exemple pour Saar-Union qui, en 1918, deviendra Sarre-Union ou pour Schlettstadt (Schlestadt avant 1870) qui, en 1920, deviendra Sélestat. L’hystérie cocardière qu’affichaient certains patriotes, essentiellement des « revenants », lancés dans une sorte de surenchère « francilisatrice » absurde, aboutira à des projets de francisation des toponymes délirants.
Certains grands patriotes comme l’illustrateur Henri Zislin (1875-1958), l’abbé Wetterlé ou l’historien francophile de Dornach Charles Rath, demandèrent carrément que soient retirés des écoles ou brûlés tous les ouvrages de toponymie faisant, à leurs yeux, une part trop belle à l’origine germanique des noms (étaient visés les travaux de chercheurs émérites comme Werner de Mülhausen, Fuchs de Zabern, Menges et Stehle, Schwaederle, Clauss etc..).
En 1920, Charles Rath, spécialiste de la préhistoire, publia même une brochure largement diffusée illustrée par Henri Zislin, intitulée « Die geographischen Namen und die Vorgeschichte des Elsass – Mulhouse 1920 », dans laquelle il proposait de débaptiser tous les toponymes alsaciens trop boches au goût des « bons patriotes » pour les remplacer par des toponymes sonnant bien français. Pour ce faire, il avançait des arguments pseudo-historiques totalement farfelus. Un véritable bêtisier toponymique dont nous tirons les quelques exemples ci-après :
Pour Rath, Dalhunde devait s’appeler Tullyonde ; Dornach, Dourni ; Hartmannsweilerkopf, Vieil Epervier ; Hilsen, Ramaux ; Hohkönigsburg, Château National ; Hohnack, Haute Roche ; Hüningen, Héningue ; Illfurt, Illfort ; Kaysersberg, Mont National ; Kembs, Cambs ; Lautenbach, Florival ; Lingekopf, Tête des Leug ; Linthal, Fallon ; Luttenbach, Faconne ; Niffer, Nouveau Bac ; Wanzenau, Vénétie ; Wettolsheim, Vetelsa ; Wittelsheim, Vitelsa etc…
Ce ne sont là que quelques exemples de localités. Mais le même Rath proposait également de franciser des noms de rues ou de lieux-dits. Ainsi, à Colmar, proposait-il de changer la « rue Grillenbreit » en « rue du champ des Grillons », ignorant que le nom historique ne faisait nullement référence aux grillons (Grillen) mais à une famille patricienne les Grill ; idem pour Risacherkopf (en réalité Reichsackerkopf) un lieu-dit près de Münster, que Rath voulait franciser en « Tête de broussailles » (Kopf mit Reisern) ignorant, là encore, que le nom faisait référence à la vieille famille Reich-Rich jadis propriétaire du lieu etc… Avec Rath, qui fera malheureusement des émules, le sacrilège toponymique était garanti intégral.
… et depuis 45 !
L’après-guerre sera à nouveau une période propice pour nos falsificateurs qui reprirent immédiatement l’œuvre de travestissement toponymique menée patiemment sous la IIIe République. Et depuis, régulièrement et par petites touches successives, en catimini, nos maîtres, avec souvent la complicité de nos élus, continuent de franciser nos toponymes qui sont pourtant autant de marques pour décoder et éclairer notre histoire alsacienne certains noms nommant le même lieu depuis des millénaires. C’est ainsi qu’en 1948, Gottenhausen est devenu Gottenhouse et Schaffhausen Schaffhouse-sur-Moder ; en 1949 Schweighausen est devenu Schweighouse-sur-Moder ; en 1952 Pisdorf (nom d’origine vraisemblablement éponymique : de « Piso », ancien patronyme germanique), Bischtroff-sur-Sarre ; en 1955, Kurtzenhausen, Kurtzenhouse ; en 1961, Bueswiller, Buswiller, en 1972, Enschingen et Brinighoffen fusionnèrent pour devenir St Bernard et en 1975, Niederlarg et Moos fusionnèrent pour devenir Mooslargue, etc. L’Ortenberg, l’antique château près de Scherwiller sur la crête du Rittersberg, fut récemment francisé en « Ortenbourg ».
Dans les années 70-80, dans certaines communes, on assista à un saccage en règle du patrimoine toponymique historique. Ainsi, en 1978, le maire de Breitenbach, M. Dillenseger, et son conseil municipal décidèrent de franciser en bloc le nom de nombreux lieux-dits et rues sacrifiant ainsi un héritage collectif constitutif de la personnalité du village : des noms comme Balsberg, Suppendorf, Schwedenfeld, Bärenloch… furent remplacés par des rues de la Paix, des Tilleuls, Beauregard, du Stade, du Moulin… Pour justifier cette campagne, le maire invoqua alors sans rire la difficulté de compréhension des noms alémaniques pour les touristes francophones ! Un habitant malin et courageux… et qui avait du mordant, a montré le ridicule de cette pleutrerie en recouvrant les panneaux d’entrée de l’agglomération par la traduction littérale : « Large-rivière ».
Concernant les noms historiques des nos communes, on remarquera l’acharnement des « francilisateurs » à faire disparaître de nos toponymes les suffixes allemands en « ingen » francisés en « ingue » (expl. : Reiningen, Reiningue ; Hirsingen, Hirsingue ; Huningen, Huningue etc.). Les « weiler » devinrent « willer » (expl.: Gebweiler, Guebwiller) ou les « weier » « wihr » (expl.: Gebersweier, Gueberschwihr). Mais ils s’attaquèrent surtout aux suffixes allemands « hausen » ou « hüse » en dialecte (maison(s)), pour les remplacer progressivement par une forme française « house » qui n’a strictement aucune signification ni en français, ni dans la langue régionale ! Ainsi avons-nous à présent un Mulhausen près de Bouxwiller / Buchsweiler en Basse-Alsace (Mülhausen : Mühle = moulin, hausen = maison) et un Mulhouse (Mülhausen jusqu’en 1848) en Haute-Alsace, nom qui ne veut plus rien dire.
Mais si on francise des noms allemands, leur signification devient souvent inintelligible dans la langue du pays, tout comme en français. Ainsi deux exemples :
1/ La signification de « Strassburg », Strossburri en dialecte, est aisée à comprendre pour un germanophone « place forte où convergent des routes » (en all. Strasse = route et Burg place forte / forteresse) ; par contre, pour un francophone et encore moins pour un germanophone, « Strasbourg » n’a aucun sens : en français Stras ne veut rien dire et bourg signifie gros village ;
2/ idem pour « Weissenburg », Weisseburich en dialecte, nom originel, dont tous les germanophones comprennent la signification « la forteresse blanche » (en all. Weiss = blanc et Burg = forteresse) – en effet, sur le site du monastère (fondé en 630) se trouvait vraisemblablement auparavant une forteresse – ; mais à présent, « Wissembourg » ne veut plus rien dire ni pour un germanophone, ni même un francophone !
Encore récemment…
A Colmar, le « Unterer Traenk-Weg » – la rue de l’abreuvoir qui rappelait que les troupeaux de nos ancêtres venaient jadis pour s’y abreuver -, un chemin perpendiculaire à la route de Rouffach au sud de la ville, a récemment été débaptisé pour recevoir le nom d’un philosophe français du XVIe siècle : « (Rue) Michel de Montaigne ». Ce choix d’une banalité affligeante[iv], certains élus municipaux se sont d’ailleurs élevés contre « la banalisation de la nomenclature », illustre parfaitement cette trahison de nos anciens par nos élus. En effet, cette opération de camouflage historique a été réalisée à l’instigation de l’adjoint au maire Yves Hemedinger, qui a réussi à faire voter cette décision par le conseil de la ville le 21 décembre 2009, au motif, entre autres, que les livreurs ne sauraient pas prononcer le nom d’origine !
A Mulhouse, note le lanceur d’alerte Philippe Steinmetz, la « Schindergàssa » (rue de la torture) a été rebaptisée « rue de de la justice ». Cherchez l’erreur.
Et dans le Sundgau, le nom français sera en tête dans les nouveaux noms des communes qui vont fusionner… un autre aspect de cette logique exogène !
On le voit par ces quelques exemples, en trafiquant ainsi nos toponymes, qui remontent pour beaucoup à la nuit des temps alsaciens, c’est d’abord notre histoire et notre identité qu’on assassine.
Bernard Wittmann – Historien – Octobre 2015
(Source documentaire : B. Wittmann, Dictionnaire alphabétique des communes d’Alsace en français, en allemand et en alsacien, éd. Est Impression, 2006)
[i] Ainsi que vient faire à Strasbourg la statue équestre de Jeanne d’Arc qui n’a aucun lien avec notre histoire ? Et que vient faire, à côté des statues équestres de Clovis, Dagobert et Rodolphe de Habsbourg, celle de Louis XIV érigée en 1824 sur la façade de notre cathédrale ? Louis XIV n’est nullement lié à l’édifice. C’est pour insérer notre cathédrale dans le périmètre de l’histoire nationale française qu’on eut recours à ce trucage.
[ii] Titre d’un ouvrage remarquable sur le génocide vendéen de l’historien Reynald Secher paru en 1986.
[iii] A Strassburg/Strasbourg, la « Kalbsgasse », du nom d’une vieille famille patricienne les Kalb, devint la rue des…Veaux ; la « Seelosgasse », du nom d’une célèbre famille de jardiniers du XIVe s. les Seelos, devint la rue Déserte ; la « Lindenfelsergasse », d’après un certain Johann Lindenfels du XVIe s., devint la rue des Lentilles ; la « Hellenfegergasse », du nom du batelier Helefeger du XVIe s., devint la rue des Ramoneurs etc…
[iv] On retrouve ce nom dans quasiment toutes les grandes villes de France. Le philosophe Michel de Montaigne (1533-1592) n’est en rien lié à l’histoire de l’Alsace puisqu’il a vécu en France au XVIe siècle à une époque où l’Alsace appartenait encore au Saint Empire Romain Germanique.
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