«Pour en finir avec l’histoire d’Alsace» ou «Pour en finir avec l’Alsace»
POUR EN FINIR AVEC L’HISTOIRE D’ALSACE
ou plutôt
POUR EN FINIR AVEC L’ALSACE
Georges Marie Henri Cerneuf Bischoff, professeur à l’université de Strasbourg livre un nouvel opus sur l’histoire de l’Alsace ou plutôt l’ultime, puisqu’au terme de cette édifiante lecture: d’Alsace point il n’y eut, point il n’y a et (tout heureux de la prochaine fusion!) point il n’y aura!
Disons-le tout de suite, ce livre n’est pas œuvre d’historien. D’abord parce que monsieur Bischoff n’apporte aucun élément nouveau dans l’historiographie relative à l’Alsace, au mieux s’agit-il d’une reprise plus étoffée, plus actualisée, de son argumentaire paru en 1993 dans son article «l’invention de l’Alsace» dans le numéro 119 de «Saisons d’Alsace». Il aborde sans plan construit les sujets qui lui permettent d’étayer ses thèses personnelles.
Ensuite, parce qu’en passant son temps à pointer les bons et les méchants, à faire état de ses opinions jacobines d’ailleurs revendiquées et de ses jugements partisans, monsieur Bischoff emprunte la démarche de l’idéologue un tantinet aigri par la persistance sinon la pertinence du sentiment régionaliste des Alsaciens.
En introduction: «En finir pour mieux recommencer». En Incipit:«Le titre est convenu. Les piques dégoulinantes de sang impur qu’il paraît appeler de ses vœux sont, en réalité, des plumes trempées dans l’encre rouge pour CIBLER LES FAUTES ET FUSTIGER LES CONTRESENS. POUR DENIAISER L’HISTOIRE ET LIBERER LA VERITE.» P.3
Ainsi soit-il: c’est bien par cet évangile (bonne nouvelle) de la vérité libérée que le nouvel apôtre jacobin veut stigmatiser le délire obsidional qui, à ses yeux, caractérise l’alsacien». C’est en un crypto-langage qu’en quatrième de couverture m. Bischoff nous explique que «l’espace se fait chair» oui mais pour l’auteur, cette chair ne peut être «alsacienne» bien-sûr, puisque d’alsacien il n’y a point sauf ceux auxquels m. Bischoff délivre un certificat de bonne conduite historique mesuré à l’aune de ses choix idéologiques.
Ce «livre d’humeur» (P.3) est écrit pour corriger des décennies d’historiographie alsacienne. Mais cette humeur est surtout teintée du plus vif ressentiment à l’encontre de ceux des Alsaciens qui ne sont pas de l’avis de m. Bischoff.
Voyons comment:
D’abord l’auteur se lance dans un cours magistral:
«quel que soit son objet, dans l’espace et dans la durée, l’histoire est d’abord un discours, une rhétorique…On sacrifie la vérité sur l’autel de l’interprétation, ou, du moins, on lui préfère des idées brutes et des jugements à l’emporte pièce, en revendiquant des filiations simplistes et en procédant à toutes sortes de raccourcis. L’historien s’autorise la première personne du pluriel et l’adjectif possessif, nous, nos ancêtres, notre histoire et fait son miel de l’adverbe toujours. C’est une catéchèse de l’anachronisme». P.30
Attention! l’auteur prévient! «ce n’est pas un essai: on a suffisamment disserté sur la thématique destin et volonté et interrogé l’âme de l’Alsace pour en avoir perdu l’appétit. Intéressons-nous au matériau, plutôt qu’à une conscience collective hypothétique, mais cherchons aussi à décrypter l’imaginaire de ceux qui font parler l’histoire» P.4
On notera que, d’après l’auteur, l’historien de l’Alsace se doit, sans doute comme son pays, d’être «asexué, hermaphrodite», peut être «amphibie»? P.4 Plus sérieusement, un historien du cru n’a pas à faire montre d’une quelconque marque d’attachement à sa région, à son ascendance ou à ses traditions sous peine d’être de ceux qui «entretiennent la mémoire du clan» P.30 ou qui promeuvent «une histoire qui exalte et qui mobilise sur des thèmes irrédentistes: on met en avant le peuple corse, la libre Bretagne d’avant l’annexion ou la civilisation occitane, réalité irréductibles et permanentes, et, partant, éternelles». P.30
Pour m. Bischoff et nonobstant la rigueur intellectuelle qui qualifie une honnête recherche de type universitaire, l’historien devrait ressembler à un ectoplasme détaché de ses racines familiales et de son terroir.
Et ainsi de fil en aiguille: «En se retrouvant au cœur du débat, l’histoire d’Alsace acquiert une dimension sacrée, à la manière d’un credo. Qui sont les gardiens du temple, les hérétiques et les schismatiques? Les professionnels du passé, les décideurs politiques, les fidèles?» P.30
Il convient ainsi de traquer, de fliquer, de démasquer, et de dénoncer ces historiens qui osent témoigner de la richesse particulière de ce «matériau» (eh oui, que cela plaise ou non, l’Alsace a une histoire et singulièrement, une histoire récente à nulle autre pareille parmi les provinces françaises).
Mais, comment atteindre cette «vérité» si injustement sacrifiée? L’auteur nous dit que «l’histoire est partout, dans la presse, sur les écrans, dans les conversations, aux spectacles, et même dans les écoles. Elle appartient à tous, ce qui requiert, évidemment, des arbitrages ou des expertises quand il s’agit de séparer le bon grain de l’ivraie.» P.30
Et pour ce qui est de séparer le bon grain de l’ivraie, m. Bischoff se dépense sans compter. Il distribue allègrement les bons et les mauvais points en usant de sa «focale».
En citant pêle-mêle historiens, géographes et auteurs divers tels le pseudo-Frédégaire, Walseemuller, Specklin, Lavisse, Vidal de la Blache, Coulon, Schoepflin, Ermold le Noir, Erckmann-Chatrian, Febvre, Bloch, Kiener,Vogler, Dollinger, Wolff, Hatt, Rapp, Livet, Sittler, Bazin, Meyer, Arnold, Schuré, Barrès,Zind ou Pierri,, Lefftz, Eyer, Stintzi, Matzen, etc. il étale une érudition certaine mais pour le moins brouillonne qui laisse émerger ses partis pris.
Nous voici donc préparés à assister à la déconstruction d’un mythe par un intellectuel qui se veut sagace et truculent.
On commencera par la leçon de géographie physique (rappelons que nous nous intéressons au «matériau»). Si vous l’ignoriez, «Das Elsass est un lieu», puis on convoque l’orthographe allemande: «au neutre» puis on appelle à la rescousse la biologie animale, «asexué, hermaphrodite, amphibie» cela donne donc, insistons bien: «Das Elsass est un lieu. Au neutre, asexué, hermaphrodite, amphibie». P.4
Cette mise en bouche, disons peu amène ouvre sur un discours qu’annonce le titre du chapitre deuxième: «Une histoire imaginaire» P.25
Si l’auteur écrit avec raison: «ce petit pays est à la fois témoin, acteur et victime d’un destin terrible, c’est-à-dire exemplaire à force d’être exceptionnel. C’est pourquoi il interpelle bruyamment son histoire, et lui assigne un rôle d’intelligibilité qu’elle n’a probablement pas dans d’autres région» P.30
Il poursuit: «Le cœur du débat? Le pedigree réel des Alsaciens dans ce qu’ils ont d’irréductibles et d’authentiques, et leurs racines, profondes, très profondes, comme toutes les racines qui se respectent. Ce qui implique de distinguer ceux qui bénéficient du droit d’alsacianité et ceux qui en sont naturellement exclus. L’Alsace est une figure métonymique de cette communauté: c’est une personne morale aux vertus d’éternité.» P.32
L’allusion ici est insidieuse puisque l’auteur semble induire que le fait d’être alsacien contient en soi, intrinsèquement et de façon quasi immanente une irréductibilité qui disqualifie celui-ci de vivre avec les Autres. On s’interroge aussi sur le sens de la formule: «droit d’alsacianité» qui induit une forme d’ostracisme à l’endroit des «non alsaciens». L’historiographie traditionnelle de l’Alsace, qui n’est contestée que par de condamnables révisionnistes comme on en trouve partout (y compris dans l’université française), a toujours fait état du caractère composite de son peuplement.
Ainsi le problème c’est «le pedigree réel» des Alsaciens! On remarquera que, en français, «pedigree» est un terme usité exclusivement pour désigner la généalogie des animaux !! Mais sans doute s’agit-il ici d’un trait d’humour de m. Bischoff?
En d’autres termes, l’affirmation de son «identité alsacienne» est un dangereux marqueur de repli sur soi et de rejet de l’Autre.
L’ensemble du livre est alors consacré à la déconstruction de cette communauté dont l’Alsace est la «figure métonymique». C’est une charge contre une communauté qui a toujours exprimé son mécontentement devant les injonctions à être ce quelle ne souhaite pas: sous les Romains, les Geroldseck, les Lorrains d’Antoine, les Turenne, les jacobins, les Prussiens, les cartels de tous bords, les nazis et j’en passe. C’est une communauté qui parle de Freiheit dans un monde qui nivelle les différences et abolit l’individu dans un consumérisme matérialiste.
De cette Alsace, m. Bischoff, sous des dehors respectables d’universitaire, va s’employer à saper les symboles: le Rhin, les Ducs, Sainte Odile, la Décapole, l’humanisme rhénan, la constitution de 1911, le drapeau «Rot un Wiss» etc.
Et surtout, surtout, la deuxième guerre mondiale, avec son cortège innombrable de collaborateurs et d’autonomistes bien nazis (à en croire m. Bischoff), va lui donner du grain à moudre pour ternir toujours davantage la mémoire du petit pays!
L’auteur résume lui-même son opus: «L’Alsace est née de la Géographie. Elle est entrée dans l’Histoire en 1789…L’objet de ce livre est l’intelligibilité de son passé: ce n’est pas mon histoire, notre histoire ou leur histoire, mais celle d’un espace habité par des femmes et des hommes, pas forcément et pas toujours par les mêmes, leurs ancêtres et leurs descendants»P.247.
Par un tel verbiage, M. Bischoff doit probablement prendre ses lecteurs pour des demeurés car depuis la fin du XIXème siècle au moins on a instruit les jeunes européens en associant l’histoire et la géographie. Pensons aux manuels d’histoire pourvus de nombreuses cartes et aux atlas géographiques qui n’ont jamais ignoré la géographie humaine! Quant aux mouvements de populations du passé (appelées de façon erronées «invasions») et à la mixité qui en résultait, ils ne firent pas de problèmes sauf quand les idéologies nationalistes extrêmes ont tenté d’instrumentaliser la science et l’éducation dans des visées hégémoniques.
On ne manquera pas d’évoquer le Vercingétorix-père-des-Gaulois-Français de L’Alise-Ste-Reine de Napoléon III ou de l’Arminius-père-des Germanen-Deutschen du Teutoburgerwald du Kaiser Wilhelm!
La tasse de thé de l’auteur, la voici: «C’est avec la Révolution et les trois générations qui la suivent que l’Alsace entre dans l’Histoire et sort de la Géographie» P.156. Notons, trois générations, car dès 1871, curieusement, cela change (on suppose que l’Alsace retourne à la géographie!) sous la botte allemande . Mais en fait on apprend qu’il a existé, grâce à l’immigration, «trois Alsaces distinctes. L’une délocalisée et transfigurée, …les deux autres, qui sont restées sur place, appartiennent à des mondes différents et peut-être antinomiques, ceux de la tradition et de la modernité» P.158
L’Alsace délocalisée et transfigurée est celle des Alsaciens qui sont partis loin du pays, surtout à Paris: «ces «expatriés de l’intérieur» devenaient les interprètes d’une Alsace de synthèse, travailleuse, inventive, exemplaire et fidèle, libérée des pesanteurs culturelles, confessionnelles et sociales qui l’empêchaient de s’épanouir dans son berceau d’entre Vosges et Rhin». P.158
On appréciera la comparaison entre les rats des villes et les rats des champs, la «transfiguration» des Alsaco-parisiens face aux bouseux et autres Kruetbüri restés au bled. Et m. Bischoff de rappeler la «visibilité» donnée aux Alsaciens par la littérature parisienne dont on connaît pourtant le penchant prononcé à moquer et brocarder les «provinciaux», surtout ceux dotés d’un accent («Che suis Alsacien…»).
Ainsi l’auteur déploie sa rancœur contre cette terre qui n’a, à ses yeux pas suffisamment su apprécier la «transfiguration» que lui apportait la Révolution de 1789. Pire on accuserait la Révolution d’avoir assimilée de force l’Alsace et comme «la contre-révolution parle bas-breton…La langue de l’ennemi?» Plus loin m. Bischoff ajoute «Mais l’allemand n’était-il pas la langue de la première des républiques sœurs, celle de Mayence?» P.153
Mayence? Lisons simplement ce qu’un site encyclopédique célèbre de l’internet nous dit: «La France occupant militairement Mayence, ils tentèrent de fonder une république de Mayence. Une Convention germanique du Rhin, fut élue, elle était très peu représentative de la population, qui s’était massivement abstenue lors du vote».
On reste interdit devant ce réquisitoire anti-régional à l’emporte-pièce qui se veut iconoclaste. On se contentera ici de démontrer la faiblesse de certaines démonstrations.
Premièrement, l’épisode du drapeau alsacien:
Bischoff nous dit:«Quoi qu’il en soit, les couleurs historiques de l’Alsace sont le rouge, le jaune et le blanc, et non gueules et argent…Ce que l’on présente parfois comme le drapeau alsacien rot und wiss est l’emblème de l’Alsace-Lorraine adopté suite à la constitution de 1911: il a perdu toute légitimité pour avoir été celui des autonomistes ralliés aux nazis en 1940 et ne mérite guère que l’oubli» P.84
Quelques pages auparavant, l’auteur cite sa source, il s’agit de «L’Alsace des Mérovingiens à Léon IX» publié par la société savante d’Alsace en 2011, opus signé de la main de monsieur Christian Wilsdorf.
Or que dit ce très respectable historien alsacien?
Dans un chapitre intitulé: «Que nous raconte le blason des nouvelles plaques d’immatriculation?», m. Wilsdorf, dans un paragraphe intitulé:«1 le drapeau moderne» écrit à propos du drapeau à bandes rouge et blanche: «C’est cette position horizontale des couleurs qui prévalut et fut désormais adoptée par l’opinion publique comme représentation d’un drapeau alsacien. Le gouvernement allemand (du Reichsland NDLR) lui refusa tout caractère officiel. En 1911, l’Alsace-Lorraine…devint au sein de l’Empire allemand un état confédéré pourvu d’une Chambre haute qui était dépendante du gouvernement impérial et d’une Chambre basse élue au suffrage universel. Dès l’année suivante la Chambre basse se prononça à l’unanimité pour ce drapeau rouge et blanc…Le gouvernement, embarrassé par cette initiative, fît traîner l’affaire de telle sorte qu’en 1918, l’Alsace-Lorraine n’avait toujours pas de drapeau officiel. Ce projet avorté ressurgit après la paix. Le drapeau rouge et blanc…devint le signe de ralliement du mouvement autonomiste et lorsqu’il paraissait en public à Strasbourg, il était saisi par la police française. Par ailleurs, le Bund des Elsass-Lothringer im Reich (l’Association des Alsaciens-Lorrains habitant l’Allemagne) l’adopta et le déploya lors d’une manifestation le 30 juin 1933, donc sous le régime hitlérien. Allait-il réapparaître en Alsace en 1940, lors de l’annexion de fait de notre province à l’Allemagne? Nullement, car les autorités nazies, très centralisatrices, l’exclurent au profit de la croix gammée omniprésente.».
Et m.Wilsdorf d’ajouter que (on en revient aux plaques minéralogiques) c’est parce que trop marqué bas-rhinois, trop proche des couleurs de Monaco, de la Pologne ou de l’Indonésie, qu’«il valait mieux recourir à l’autre possibilité, celle qu’offrait l’héraldique». P7 et 8
On est donc très loin des justifications historiques du professeur Bischoff à propos de l’usage du « rot un wiss» par les autonomistes dans l’aire nazie et on laissera à l’appréciation du lecteur ses conclusions hasardeuses.
Deuxièmement, l’épisode de Turenne :
Dans un chapitre intitulé «Turenne, Turckheim, tueries» m. Bischoff écrit:
«Le passage effectif de l’Alsace à l’ombre du lys s’opère au cours de la guerre de Hollande, entre 1672 et 1679…puis son armée (celle de Louis XIV NDLR) ravage le Palatinat. L’année suivante la région devient l’enjeu d’un affrontement direct entre l’armée de Turenne et les Impériaux de l’électeur de Brandebourg, accueillis comme des libérateurs…la bataille de Turckheim, qui passe pour un chef d’œuvre de l’art militaire, prélude à la conquête définitive du pays. Elle est à l’origine des pages les plus sinistres du livre noir de l’irrédentisme alsacien, qui le considère comme l’acte fondateur de la colonisation de l’Alsace par la France et voue Turenne aux flammes éternelles de l’Enfer.» P.130 Puis l’auteur évoque les déboires du monument dédié à Turenne.
Enfin il dit ceci:
«Quant à la réalité de la prise de Turckheim par les soldats français, elle ne diffère guère de ce qui se passe dans toute ville conquise, pillages et viols, condamnés depuis toujours par les Eglises, tolérés dans le feu de l’action. Peut-on parler d’un Oradour alsacien?» P.131 puis l’auteur cherche a relativiser les conséquences de la bataille: «les pillages avaient eu lieu dans un deuxième temps, sans qu’on puisse en connaître le bilan…un chiffre imputable aux mauvaises conditions de vie, et non à la violence guerrière. De même il faut sans doute revoir à la baisse les dégâts matériels imputables à celle-ci…» Le «sans doute» n’étant étayé par aucune source, on appréciera au passage le raccourci historique qu’il fallait (?) oser: «l’Oradour alsacien»!!
Toute cette «défense et illustration» de Turenne ne tient pas quand on s’intéresse aux ouvrages de référence français sur la période. Selon cette même encyclopédie fréquentée de l’internet, dans l’article consacré au ravage du Palatinat il est écrit: «Le soldat français est particulièrement mal vu des Palatins, qui le surnomment schnapphahn (maraudeur, qui donnera chenapan, en notes). Comme tous les soldats en campagne, il commet des écarts. Mais ce ne sont jusqu’ici que méfaits traditionnels, qui s’opèrent plus ou moins à l’insu de la hiérarchie. La nouveauté qu’introduit Turenne, ce sont des exactions systématiques, ordonnées par le haut-commandement menées à grande échelle.
Elles vont dépasser tout ce qu’il est permis d’imaginer. Turenne veut frapper les esprits. Les incendies et les pires atrocités se multiplient, entre Rhin et Neckar.» Références: Lucien Bély: «La France au XVIIème siècle PUF P.657, Francois Bluche: «Dictionnaire du grand siècle» Fayard 1990.
Un peu plus loin, m. Bischoff affirme: «Ces souffrances sont indéniables et tous les belligérants y ont leur part, mais il faut se méfier des chroniques qui évoquent l’anéantissement de villages – il n’y en a apparemment aucun, pas plus que lors de la Peste noire de 1349 ou du passage des Armagnacs». P.131
Alors que les auteurs qui suivent, évoquant le Palatinat (mais l’Alsace présente la même configuration) écrivent; selon Bluche: «La seconde quinzaine de juillet voit l’anéantissement de 32 localités» , selon Voltaire P.207 de son «Siècle de Louis XIV» paru en 1751 «on en dénombre 27», et selon Du Fay, gouverneur de Philippsburg, qui écrit à Louvois le 9 septembre: «dans les deux dernières semaines, j’ai brûlé treize villes et villages… Il ne restait plus âme qui vive dans aucun d’eux» (Références: Service historique de l’armée de terre, archives de la guerre, Al 414, 9 septembre 1674, Dufay à Louvois mais aussi Camille Rousset in «Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire» Didier P.72 ou encore John Albert Lynn in «Les guerres de Louis XIV: 1667-1714 Perrin P.387 note 16).
Bien sûr nous n’évoquerons pas les sources allemandes sans doute disqualifiées d’office par m. Bischoff.
Il est curieux de noter qu’avec cette apologétique hypertrophiée d’une certaine idée de la France, m. Bischoff passe sous silence les conclusions les plus communes de l’historiographie internationale de la période. Jean Bérenger dans son «Turenne» paru chez Fayard en 1987 nous dit P.404: «Cette pratique systématique de la terre brûlée devait laisser de profondes traces dans les mentalités collectives outre-Rhin et constituer, ultérieurement, l’un des arguments de la propagande anti-française.» et aussi «L’impact psychologique fut tout autre, car l’armée du Roi-Soleil se comportait comme celle du Grand Turc.»
Ainsi P.131 de l’opus de m. Bischoff: «défions-nous des jugements à l’emporte-pièce, et relisons les documents d’époque, comme les Mémoires de Monsieur de l’Hermine un administrateur parisien en poste à Altkirch pendant les événements: nous y découvrirons bien autre chose que l’arrogance que l’on prête aux conquérants.»
Voici des extraits du texte de M. Lazare de la Salle de l’Hermine dans l’édition de 1886. C’est un aimable récit d’un itinéraire quasi touristique, émaillées d’anecdotes d’un fonctionnaire à la solde du Roy (sa profession indique son degré de partialité) mais qui, finalement n’atténue en rien cette arrogance et cette cruauté que m. Bischoff cherche à minimiser:
«On ne doit pas s’attendre icy à des descriptions complètes des Provinces et des villes que j’ay visité, ni un raport bien exact des mœurs et des coutumes des nations que j’ai fréquentées: par tout pays il y a des honêtes gens et des scélérats, Je n’en parle qu’en général et selon que les choses me paroissent, sans obliger personne à me croire. Pour y mettre de tout, j’ay ajouté quelques particularitez des combats qui se sont donnez entre nôtre armée et celle de l’Empire durant mon séjour dans le voisinage du Rhin, afin de ne pas perdre la mémoire de ces actions si glorieuses à notre France.»P.35 «L’Alsace, province d’Allemagne, Elsass in Deutschland» puis P.41: «…puis nous arrivâmes à Durckheim, renommé pour la victoire que Monr de Turenne remporta sur les Impériaux au commencement de l’année 1675. Nous traversâmes les restes de leurs retranchements, qu’on n’avoit pas encore comblez;» et c’est tout pour Turckheim.
P127 il est dit à propos de l’abbaye de St Morand d’Altkirch au mois de septembre 1674 et après avoir évoqué les méfaits et violence des Impériaux: «Les François vinrent loger à leur tour dans cette abbaye et achevèrent d’y manger ce que les Allemans avoient épargné. Les pères jésuites pensoient les en empêcher, en leur présentant les lettres de sauvegarde qu’ils avoient obtenues de nos généraux d’armée; elles retinrent d’abord nos gens dans le respect. Mais ayant découvert, je ne sçai par quelle aventure, que cette abbaye appartenoit aux sujets de l’Empereur, ils n’eurent plus d’égard pour cette maison religieuse, ils firent du pis qu’ils purent, poussant les choses à l’extrême, selon l’humeur de notre nation; ils surpassèrent les soldats impériaux en brutalité et en excès.»
Ce témoignage peut-être complété par l’épisode des pillages commis à Jetingen P.114 où ce gentilhomme reconnaît prendre plaisir à ces forfanteries: «Les païsans faisant de nécessité vertu, buvoient, mangeoient et se divertissoient avec ces soldats qui les pilloient; tant il est vray que les malheureux oublient leur misère, dès qu’ils ont un quart d’heure de bon temps. Quant à moi, je suis surpris, quand je fais réflexion à cette petite guerre, de voir qu’insensiblement je commençois à y prendre goût et à ne plus écouter la répugnance que j’avois à ce libertinage.»
Pour compléter le tableau de cette soldatesque royale que m. Bischoff cherche à dédouaner, le sieur de l’Hermine en évoque l’indiscipline. Toujours P.114, après qu’un soldat fut puni pour avoir spolié une paysanne: «Cette punition ne rendit pas les autres plus sages. Au premier village, ils massacrèrent une troupe d’oisons, ils emportèrent je ne sçai combien de poules et de cochons de lait. J’enrageois de voir cette destruction dans un endroit où j’étois connu. Je mis le sabre à la main et, poussant mon cheval contre cette canaille de soldats, je fis lâcher prise à quelques-uns, mais j’en trouvai un qui eut l’audace de me coucher en joüe avec son mousquet. J’étois trop en colère pour le craindre, je lui déchargeay un coup de sabre sur la tête, dont il se seroit mal trouvé, s’il ne l’eut pas un peu paré avec son arme.»
Les méfaits de la soldatesque française sont bien illustrés encore dans les pages 140.
Enfin, pour ce fonctionnaire royal il est évident que «Mr de Turenne, ce héros dont la présence faisoit la sécurité de nos frontières et l’épouvante de nos ennemis.» P.132 est indemne de toute responsabilité dans les exactions commises par ses troupes.
Et M. de l’Hermine de rappeler P.200: «Mais ce beau et malheureux païs se trouvant frontière de la France et de l’Empire, il se voit si souvent exposé au ravage et aux malheurs de la guerre que ses habitants vivent dans des allarmes continuelles, et ne peuvent jouir de l’abondance dont ils seroient comblés sans ce rude fléau; c’est de quoi j’ai été témoin durant un séjour de près d’une année et demie que j’ay fait dans le païs».
La suite du livre de l’Hermine se passe plusieurs années après les événements.
Troisièmement: l’épisode de Hansi.
Monsieur Bischoff ici aussi n’apprécie pas qu’on critique Jean-Jacques Waltz, il lui consacre un chapitre entier «ce n’est pas une grande tête politique, mais un artiste un peu bohème, un bon vivant, un farceur, qui se double d’un amoureux de l’Alsace» et «s’il persiste dans le genre polémique , ce n’est pas pour détruire, mais pour adoucir, ou même pour apprivoiser le présent» P.41 J’en passe et des meilleurs pour aboutir p.47 à ceci: «S’il a déchaîné et continue de déchaîner des réactions épidermiques, cela tient d’abord à son succès, c’est-à-dire ses qualités propres. Hansi a réenchanté l’Alsace, en inventant une image définitive, parce qu’elle était, pour son public, à la fois (trop) belle, (trop) bonne et (trop) vraie. Sans prétention artistique, mais parfaitement lisible au premier degré comme au second, et, de ce fait, géniale.» et p. 49 «De sa mère…il tire le goût de transmettre et la religion de la liberté» Quelle apothéose!
Ici on se contentera de rappeler ce que des artistes qui ont connu m. Waltz en disent et ce que des autorités reconnues dans leur domaine à savoir la critique de l’art nous disent du personnage.
– Charles Spindler dans ses «Mémoires inédits» dit:
«Hansi, un singe mal bâti, le dos voûté, une figure de gavroche aux traits flétris sur un corps trop grand, le regard méfiant et fuyant, un débit nasillard, ressemble à un Boche qui aurait voulu se donner des allures de rapins français» mais aussi « Le reproche qu’on peut faire à Hansi c’est de s’être dérobé au devoir incontestable de l’alsacien de faire le médiateur, d’avoir feint d’ignorer les qualités des Allemands et d’avoir exagéré leurs travers, aux dépens de la vérité. Sous ce rapport son influence a été néfaste, et elle l’est encore devenue davantage depuis la guerre, car il a voué la même haine aux alsaciens qui ne sont pas de son avis.»
– René Schikelé (que cite quand même m. Bischoff P.39) dit:
«Je ne parle pas de lui comme d’un artiste, mais d’un agitateur qui, parce qu’il ne peut vraisemblablement écrire ni en allemand ni en français, tombe sur ses ennemis à coups de dessins»
«Hansi n’est malheureusement qu’un imitateur de province des gens du Simplicissimus. Il dessine comme un peintre en bâtiment qui a fréquenté pendant trois ou quatre ans l’École des Beaux-arts pour servir comme volontaire d’un an» (c’est-à-dire pour échapper au service militaire long) Notons que pour l’auteur P.40: «la citation de René Schikelé ne signifie pas grand-chose».
–Tomi Ungerer dit: «Hansi, lui, n’a vécu que devant un seul horizon, d’un bleu trouffionné, stérilisé, désexué, fictionné d’un arc-en-ciel tricolore…Il parle de l’Alsace comme d’un paradis tricolore! Ein tricolorisches Paradis!…Mais c’est ça Hansi l’imagiste aveuglé par un fanatisme d’eunuque…Mais le sang de sa muse haineuse est allé faire phlébite ailleurs dans un faux folklore, du cartepostalifère.»
–Julien et Walter Kiwior sur leur site, écrivent:
«Hansi c’est un temps que l’on veut oublier ou plutôt un esprit vengeur d’une époque qui n’est plus la nôtre.C’est sans aucun doute le cas le plus pathologique de l’art alsacien. Une sorte d’anti-art local qui semble trop souvent primer sur tout le reste. Et quel reste! Ce reste va de Théophile Schuler, en passant par Lothar von Seebach, Charles Spindler, Joseph Sattler…Un artiste qui a dépeint une fausse Alsace dans son ouvrage «Le paradis tricolore» qui sent bon le nationalisme exacerbé. Sous des traits de dessins pour enfant, touchant de naïveté, se cache des diatribes racistes…Elles cachent un anti-germanisme nauséabond que véhicule encore ces ouvrages de nos jours.
Quatrièmement: l’annexion de 1871.
Citons l’auteur: «L’image d’un phylloxéra politique peut rendre compte du traumatisme de l’annexion, qui est un viol, un crime fondateur.» p.19)
Mais au fait ce «Grand Dérangement», cette «Nakba alsacienne», (traumatisme certain à l’époque) sont la conséquence directe des négligences criminelles de l’empire français de Napoléon III et de son gouvernement à ce que l’on sache! Ces gens pouvaient-ils ignorer le jeu dangereux qu’ils jouaient avec un ennemi (la Prusse et son redoutable chancelier Bismarck) devenue une puissance continentale considérable après la bataille de Sadowa en 1866 et le ralliement des trois grands états du sud de l’Allemagne dans la confédération germanique?
Emile de Girardin (député, entres-autres du Bas-Rhin en 1850-51) n’écrivait-il pas le 23 septembre 1877 en préface de son «Dossier de la guerre de 1870»: «Ce volume… convaincra tous ceux qui le liront que, d’avril 1854 à juillet 1870, la France a constamment marché vers le fatal dénouement de janvier 1871, par le fait de l’impéritie de l’empereur Napoléon III et de l’incurie de ces ministres.»
C’est bien Napoléon qui déclare la guerre à la Prusse et non des «hordes teutonnes» qui déboulent sans raison dans la quiétude des houblonnières de l’Outre-Forêt!
Et Edmond le Boeuf, ministre de la guerre français en 1870 n’affirma-t-il pas solennellement le 15 juillet de cette année face à Thiers qui lui reprochait «vous n’êtes pas prêts»: «nous sommes prêts et archiprêts, la guerre dut-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un seul bouton de guêtre à nos soldats!»
Bilan: 139 000 morts français et 500 000 prisonniers. Une débâcle, une humiliation et, à terme, la cession (et non une annexion de fait comme en 1940) de l’Alsace-Moselle après un vote de l’Assemblée Nationale repliée à Bordeaux le 1er mars 1871 malgré les protestations énergiques des 27 députés protestataires (546 voix pour, contre 107 et 23 abstentions).
Bischoff se plaît, dans la foulée, à dénigrer en un curieux anachronisme, les intellectuels allemands de l’époque. Citons P.195-196: «Le rhabillage nationaliste auquel s’emploient de beaux esprits, en alléguant les droits historiques de l’Allemagne disqualifie la veulerie de certains, comme le grand Theodor Mommsen ou son collègue Carl Hegel, fils du philosophe, qui applaudit à la reconquête en excusant ses dégâts collatéraux.»
Rappelons qu’à la même époque parmi les «beaux esprits»(français ceux-là!) un Jules Ferry (dont l’œuvre est encensée par m. Bischoff) déclarait le 28 juillet 1885 devant la chambre des députés à propos de l’expansion coloniale:
«Messieurs, il y a un second point…que je dois également aborder…c’est le rôle humanitaire et civilisateur de la question. Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures…».
Et savons nous bien qu’une part de l’inspiration du mouvement völkisch en Allemagne et en général du «darwinisme» social à cette époque émane de l’œuvre du diplomate et écrivain français Joseph Arthur de Gobineau, auteur de «Essai sur l’inégalité des races humaines» (1853-1855).
On connaît la postérité de telles paroles dans les comportements coloniaux partagés par tous les Européens du moment (Anglais ou Français comme jadis Espagnols et Portugais, sans oublier le massacre des Herreros dans le sud-ouest africain par les Allemands de von-Trotha).
Alors, Mommsen et Ferry choquent aujourd’hui, certes, mais demeurent des personnalités marquantes dans leurs domaines tout en vivant leur temps et ce temps comme doit le savoir m. Bischoff n’a pas nos repères éthiques!
Quant aux dégâts dits «collatéraux» constatés en 1870-71, sont-ils nouveaux quand on songe, toujours pour la France, aux exactions de la Grande Armée de Napoléon I dans toute l’Europe. Des travaux récents d’historiens soulèvent le voile de pudeur jeté par la vulgate nationale sur l’envers du décorum napoléonien particulièrement dans le cas de l’Espagne voir: «les violences sexuelles en Espagne 1808-1814 ce que révèlent les témoignages» J.M Laffont, Université de Montpellier in bulletin hispanique tome 108 n°2 2006. Ou encore le livre récent de Nicolas Cadet intitulé «Honneur et violences de guerre au temps de Napoléon, la campagne de Calabre», Vendémiaire 2015, sur les exactions en Italie.
Enfin, la langue (le dialecte).
Bischoff écrit p.242: «Les commentateurs des luttes linguistiques dont l’Alsace a été le théâtre insistent lourdement sur les mesures de répression mises en œuvre par la République jacobine: c’est leur ritournelle, pardon, leur leitmotiv. Ils ont raison de dire que le système scolaire français a vivement encouragé l’apprentissage et la prédominance de la langue nationale mais cela suffit-il à faire des Alsaciens des victimes».
«Vivement encouragé», on appréciera l’euphémisme (surtout nos anciens qui vécurent le temps des punitions scolaires pour avoir parlé le dialecte, langue maternelle pour beaucoup!).
Plus sérieusement ou plus jacobinement, l’auteur a-t-il oublié l’enquête organisée par l’abbé Grégoire en août 1790 au sujet de l’usage des patois en France et surtout au rapport qu’il en fait, intitulé: «Sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française»? Ce rapport a été présenté à la Convention nationale le 4 juin 1794 (16 Prairial an II).
OUI, anéantir les patois («la contre-révolution parle bas-breton», traduire ici et aujourd’hui pour certains: «parle alsacien»), un bon patois est un patois mort!
L’éclairage qu’a donné Michel de Certeau à ce sujet est remarquable dans «La beauté du mort» (in «La culture au pluriel» Seuil 1993).
«La culture populaire suppose une opération qui ne s’avoue pas. Il a fallu qu’elle fût censurée pour être étudiée. Elle est devenue alors un objet d’intérêt parce que son danger était éliminé.»
On y apprend que la culture populaire, cet «exotisme de l’intérieur» (opus cité p.48) devient objet de science en France à deux époques: la fin du XVIIIème siècle et les années 1850-1890. Mais ce savoir n’est pas neutre, il est au service de la puissance politique en place.
Lors de la Révolution on œuvrait pour «la destruction de l’odieuse féodalité» (op.cité p.50) puis lors de « la création, par le ministère de la Police générale, le 30 novembre 1852 d’une commission d’examen des livres du colportage» p.51, on ne surveillait pas les colporteurs, mais on vérifiait que le contenu des ouvrages ne fut pas contraire «à l’ordre, à la morale et à la religion» p.52.
Cette décision de Charles de Maupas, ministre de la police générale, opportunément, «venait après les journées républicaines de février et de juin 1848, et après 1852, date de la restauration de l’Empire. De ce qu’on avait maté, on pouvait faire un objet scientifique.» op. cité p.46
Et d’ajouter avec M. de Certeau: «la constatation s’impose de nouveau: c’est au moment où une culture n’a plus les moyens de se défendre que l’ethnologue ou l’archéologue apparaissent» Op. cité p.50-51. Et aussi: «Le même processus d’élimination se prolonge. Le savoir reste lié à un pouvoir qui l’autorise» (op. cité p.47)
Mais le plus important est ce constat parfaitement transposable à l’Alsace: «Ce qui est donc en cause, ce ne sont pas des idéologies, ni des options, mais les relations qu’un objet et des méthodes scientifiques entretiennent avec la société qui les permet. Et si les procédures scientifiques ne sont pas innocentes, si leurs objectifs dépendent d’une organisation politique, le discours même doit avouer une fonction qui lui est allouée par une société: cacher ce qu’il prétend montrer» (op.cité p.47)
Selon M. Bischoff, le peuple alsacien n’existe pas mais, pas plus qu’il n’y a de peuple français, ni d’identité française. Il n’y a que des citoyens «égaux» issus de «nulle part et d’ailleurs».
Tout le problème en France réside en ce que toute notion d’expérience, d’héritage, disparaît. La nation-contrat de Rousseau remplace la nation-héritage. Pourtant des générations de républicains français ont véhiculé «l’héritage des Lumières et de la Révolution» comme moteur de la France! Cette conception de la France s’est construite par le haut. Cette nation est l’œuvre de l’Etat, elle n’est pas l’expression de la société, on peut dire qu’il n’y a jamais eu en France un consensus sur la forme des institutions. De plus, dès ses origines, ce modèle révolutionnaire inédit aura besoin des décrets du 5 septembre 1793 et du 10 juin 1794 (la Terreur) pour asseoir son pouvoir, et ce, au nom de quoi?
Patrice Gueniffey, historien spécialiste de la Révolution française nous l’explique bien. «L’association du volontarisme et du constructivisme constitue ainsi la première racine de la Terreur révolutionnaire. L’histoire de la Terreur… ne commence de ce point de vue ni en 1793 ni même en 1791 ni en 1792: elle est consubstantielle à la Révolution qui, dès 1789, se présente comme une pure aventure de la volonté». («la Politique de la Terreur», Gallimard 2003, p.50).
Cependant ce même auteur s’accorde à reconnaître que «la Révolution est morte comme événement historique et comme marqueur politique… ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui elle ne permet plus de décrypter la politique. On a changé de décor. Le citoyen, l’Etat, la nation, la souveraineté: toutes ces notions et ces institutions qu’elle avait inventées sont mortes.»
(P. Gueniffey «Le Point» 16/04/2011). M. Bischoff aurait là une salutaire méditation à entreprendre!
Nous pourrions poursuivre longtemps cette critique d’un ouvrage lassant à force de stigmatisation, de rabaissement et de culpabilisation des Alsaciens sous couvert de travail d’historien. Ce qui interroge le lecteur c’est que, régulièrement, comme à bout d’arguments valables, l’auteur ressort les débats anciens à tiroirs sur la collaboration et le fascisme.
Cela ressort d’une crise de l’histoire et donc de l’historien et m. Bischoff devrait savoir ce que rappelle Patrice Gueniffey dans un article du Monde du 13 juin 2015: «les Français ont un problème avec leur histoire». Un malaise permanent qui rejoue à propos de tout et de rien. Et si les commémorations se font si discrètes, c’est qu’aucune conviction collective n’est assez nette pour ne pas craindre d’être mise en cause ou attaquée si l’événement à célébrer suscite la polémique. Il n’y a pas assez de consensus social autour du passé national et la tradition historiographique manque de cohésion».
La permanence d’une forme d’identité régionale en Alsace parce qu’elle évolue, étonne toujours nos contemporains.
Hans Haug, forte personnalité s’il en fut, pour lequel un hommage a été rendu en 2009 (B. Schnitzler et A.D Meyer «H.Haug, homme de musée, une passion à l’œuvre») écrivait dans «l’Art en Alsace»: «la population alsacienne est une des plus composites qui soient, et pourtant, brassée par les siècles, elle présente une certaine unité de caractère due à la permanence d’un climat physique et moral».
De même Victor-Lucien Tapié n’écrivait-il pas en évoquant «L’Intendance d’Alsace sous Louis XIV» de Georges Livet: «Que l’Alsace soit demeurée si longtemps contestée entre Empire et France, cela tient moins à la géographie et aux ambitions rivales de deux puissances se disputant une province pour leur gloire ou pour leur stratégie, qu’à l’extraordinaire enchevêtrement d’influences qui résultait du passé, à la complexité des intérêts économiques et à la diversité sociale qui ont préservé l’originalité de la région et en ont maintenu le caractère, même après son union avec une France centralisée et forte.» (Annales, économies, sociétés civilisations 1961 vol.16)
Bischoff devait approfondir cette phrase de Pierre Bucher, grand francophile s’il en fut: «Les choses ne sont bonnes et vraies pour les Alsaciens que si elles sont le développement d’un germe alsacien. Du moins, si elles ne sont pas le fruit de notre race, il faut qu’elles acceptent les conditions de notre climat moral.» (L’Art en Alsace P.9)
Dans «le partage de l’histoire» p.250, m. Bischoff évoque«des comparaisons sur les deux rives du Rhin» et particulièrement avec le Bade-Wurtemberg pour défendre le projet inepte de fusion de l’Alsace dans la nouvelle grande région.
Bischoff nous dit que «en 1949, le pays de Bade et le Wurtemberg ont uni leur destinée pour former un Land de la République fédérale.» (p.251), il oublie le plus important, c’est que l’élaboration du Land actuel a fait suite à deux référendums, le 24.11.1946 et le 16.12.1951 (fusion du Würtemberg-Bade, du Bade et du Würtemberg-Hohenzollern).
Dans le projet français, aucune consultation populaire n’est envisagée et, pourrait-on penser, souhaitée.
Que penser alors de cette fusion sinon qu’elle tournera inévitablement à la confusion, car elle marche à contre courant de ce que beaucoup d’observateurs recommandent. Ainsi ce qu’en pense le professeur Gérard François Dumont (géographe, économiste et démographe, professeur à Paris IV) dans un article qui ne manquera pas de déplaire au professeur Bischoff:
«La réforme territoriale ou l’illusion jacobine» parue dans «Economie régionale et urbaine» du 11 septembre 2014. Il y est dit ceci de l’Alsace: « Prenons un exemple. Si la loi s’applique telle qu’elle a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale, les acteurs de l’Alsace (élus, administrateurs, responsables associatifs et économiques confondus) vont consacrer un temps considérable à mettre en œuvre l’intégration de leur région dans la future région CALA (Champagne-Ardenne, Lorraine Alsace).
Or, ce temps pourrait être plus utilement consacré à travailler sur le positionnement géographique de l’Alsace en Europe à proximité du Bade-Wurtemberg, du pays de Bâle et de la Bavière et à examiner comment mieux bénéficier de ces proximités. Organiser la fusion, choisir la capitale régionale, prendre des dispositions pour que cette capitale dont le choix suscitera des mécontents soit accepté en créant des antennes dans les différents territoires de la région CALA, constituent indiscutablement une perte de temps et de moyens consacrés à la recherche d’une meilleure attractivité et compétitivité de l’Alsace en Europe».
Dans le même article G.F. Dumont de rajouter:
«Il n’est pas possible de gagner en efficacité en ignorant les identités régionales. La délimitation actuelle des régions est très largement le produit de l’histoire (exception faîte de la séparation entre la Haute et la Basse Normandie)».
.Alors, cet Alsacien que m. Bischoff vilipende avec tant d’acharnement dans son «recueil de désespérances», n’est-il finalement qu’un «Laudator temporis acti», un chantre des temps oubliés? Un nostalgique qui avec Lamartine s’exclamerait: «Un grand peuple sans âme n’est qu’une vaste foule» (premières méditations)?
Non, il n’a pas cette fascination pour la logorrhée qui anime tant m. Bischoff quand il s’agit de punir et de dénigrer son identité, il dira plutôt avec Gustave Stoskopf lorsqu’il citait Sebastian Münster en exergue de ses pièces de théâtre:
«Man findt nit einerley sondern mancherley Volck in diesem Landt.
Aus Schwaben, Beyern, Burgund und Lothringen lauffen sie dareyn und kommen selten wider darauss.»
Ja, mancherley Volck, awwer a Volck!
Patrick Guérin
Section 3 frontières U.L
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